L’évolution de la rhétorique
Art de penser et art de dire se sont à l'origine, c'est-à-dire pour l'Antiquité, recouverts exactement dans le cadre d'une culture orale, fondée sur un art de la mémoire et dont l'expression la plus haute était l'éloquence de l'orateur de l'agora, du forum, de la curie, éloquence codifiée et étroitement liée à la vie politique et sociale : Tacite, dans le Dialogue des orateurs, analyse la « décadence de l'éloquence » due au passage de la République à l'Empire ; Marc-Antoine Muret fondera, au XVIe s., les principes de sa réforme du discours sur le passage de la cité-État à la monarchie et à la Cour. D'Aristote au XVIIIe s. néoclassique, le sort de la civilisation est identifié à celui de l'art oratoire et de son répertoire de procédés, la rhétorique. Il y a d'ailleurs plutôt des rhétoriques qu'une rhétorique : celle-ci varie dans le temps (il y a des époques qui prennent Cicéron pour modèle, d'autres, Sénèque), avec les milieux (opposition, au XVIIe s., du style de la Cour et de celui du Parlement, comme de la rhétorique jésuite et de celle des collèges universitaires), avec les situations (convaincre un auditoire fait appel à d'autres recettes que l'écriture d'une lettre).
Liée d'emblée à un projet pédagogique, la rhétorique s'inscrit dès l'Antiquité dans l'Institution oratoire (Quintilien), destinée à former l'orateur politique et judiciaire, puis dans le programme médiéval des arts libéraux : elle se place dans le trivium entre la grammaire et la dialectique (position intermédiaire qui se reflétera jusqu'au milieu du XXe s. dans la terminologie de l'enseignement secondaire français). La double mise en place d'une civilisation du livre et de l'État monarchique moderne fera passer la rhétorique d'un art de parler à un art d'écrire, et d'un art de persuader à un art de plaire. D'Aristote à Dumarsais (Des tropes, 1730), Condillac (De l'art d'écrire, 1755), J.-B. Crevier (Rhétorique française, 1765), la rhétorique,