Bergson
SUR LES DONNÉES IMMÉDIATES
DE
LA CONSCIENCE
Henri BERGSON
Membre de l'Institut
Professeur au Collège de France
SIXIEME EDITION
PARIS
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
LIBRAIRIES FÉLIX ALCAN ET GUILLAUMIN RÉUNIES
I08, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, Io8
1908
JZ^
A Monsieur
Jules LAGHELIER
MEMBRE DE l'iNSTITUT
INSPECTEUR GÉNÉRAL DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE
Hommage respectueux.
117929
AYANT-PROPOS
Nous nous exprimons nécessairement par des mois, et nous pensons le plus souvent dans l'espace. En d'autres termes, le langage exige que nous établissions entre nos idées les mêmes distinctions nettes et précises, la même discontinuité qu'entre les objets matériels. Cette assimilation est utile dans la vie pratique, et nécessaire dans la plupart des sciences. Mais on pourrait se demander si les difficultés insurmontables que certains problèmes philosophiques soulèvent ne viendraient pas de ce qu'on s'obstine à juxtaposer dans l'espace les phénomènes qui n'occupent point d'espace, et si, en faisant abstraction des grossières images autour desquelles le combat se livre, on n'y mettrait pas parfois un terme. Quand une traduction illégitime de l'inétendu en étendu, de la qualité en quantité, a installé la contradiction au cœur même de la question posée, est-il étonnant que la contradiction se retouve dans les solutions qu'on en donne?
Nous avons choisi, parmi les problèmes, celui qui est commun à la métaphysique et à la psychologie, le problème de la liberté. Nous essayons d'établir que toute discussion entre les déterministes et leurs adversaires implique une confusion préalable de la durée j avec l'étendue , de la succession avec la simultanéité, de la qualité avec la quantité : une fois cette confusion dissipée, on verrait peut-être s'évanouir les objections élevées contre la liberté, les définitions qu'on en donne, et, en un certain sens, le problème de la liberté lui-même. Cette démonstration fait l'objet de la