Le contact des langues : point aveugle du ‘linguistique’
Robert Nicolaï Institut Universitaire de France & Université de Nice
A un moment donné change la place occupée par les faits dans la configuration de ce que l’on décrit, se modifie l’importance des pertinences, arrive à saturation le procès de rendu compte des phénomènes, se relativisent des principes explicatifs. Une transformation de la perspective bouscule les cadres de saisie et attire l’attention sur des questions nouvelles qui préfigurent des changements conceptuels et une reconstruction théorique en rapport avec une autre perception de ce qui est donné à décrire. La question du contact des langues ressortit à une dynamique de cette nature. Elle n’est pas nouvelle1 mais sa place dans le champ de la recherche linguistique s’est modifiée : l’étude des changements induits par le contact sous toutes ses formes n’est plus une thématique secondaire. Elle a cessé d’être renvoyée à la marginalité pour occuper le devant de la scène. Pourquoi la thématique du contact était-elle secondaire ? La notion de ‘contact’ ne suggère-t-elle pas une catégorie particulière de métaphores et n’introduit-elle pas le préalable d’idées, de phénomènes, d’objets préexistants ? Ceux qui – justement – vont « entrer en contact » ? Cela ne présuppose-t-il pas l’existence d’entités premières que le hasard et les contingences conduiraient à « entrechoquer » et qui subissent les conséquences de ces chocs ? Elles y résisteraient plus ou moins bien, conservant – plus ou moins mal – leurs initiales formes et qualités. A l’évidence, arc-boutés sur nos inférences prédictives et rétrodictives nous sommes ici face à une logique de sens commun et à une structuration discursive que nos constructions idéologiques et philosophiques (cf. la langue, son essence, son idéalité) au même titre que nos constructions théoriques et empiriques (cf. la langue, sa structure, ses matérialités) ont nourri / nourrissent continûment dans un mirage apodictique.