« Mythe »
Michel Tournier écrit :
On cernera mieux la nature du mythe en comparant personnage de roman et héros mythologique.
Soit par exemple Julien Sorel ou Vautrin. Ces personnages ont une double caractéristique. D’abord ils sont prisonniers des œuvres où ils apparaissent. Ils ont bien fait quelques apparitions sur scène ou à l’écran, mais parce que toute l’œuvre –Le Rouge et le Noir, Le Père Goriot – avait fait l’objet d’une adaptation dramatique. Corrélativement, aussi connus soient-ils, ils sont moins célèbres que leurs auteurs respectifs, Stendhal ou Balzac.
Il en va tout autrement d’un personnage mythologique, don Juan par exemple. Créé en 1630 par Tirso de Molina (Le Séducteur de Séville), il a bien vite oublié et fait oublier ses origines. Qui connaît Tirso de Molina ? Qui ne connaît pas don Juan ? On l’a vu réapparaître partout de génération en génération dans des comédies, des romans, des opéras. On dirait que chaque pays, chaque époque a voulu donner sa version particulière du héros qui incarne la révolte du sexe contre Dieu et la société, l’utilisation du sexe contre l’ordre, contre tous les ordres. Mais peut-être cette pérégrination du séducteur d’œuvre en œuvre a-t-elle un ressort caché et vivant. Si don Juan a animé tant de vies imaginaires, c’est sans doute parce qu’il a sa place dans la vie réelle. Si nous le rencontrons dans tant d’œuvres, c’est parce que nous le rencontrons dans la vie. Il y a des don Juan autour de nous, il y a des don Juan en nous. C’est l’un des modèles fondamentaux grâce auxquels nous donnons un contour, une forme, une effigie repérée à nos aspirations et à nos humeurs.
Michel TOURNIER, Le vent Paraclet, © Éditions GALLIMARD, 1977, Folio, n° 1138, 118 et suiv.
Actuellement, le mot « mythe » est utilisé de