Sensation rimbaud
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud - Poésies
La lettre que Rimbaud adresse à Banville, le 24 mai 1870, nous apprend que Sensation, ce court poème, date du 20 avril 1870. Ces deux quatrains se rattachent à la veine thématique des poèmes du voyage et de la bohème, à ceci près que l’ailleurs recherché ici est moins spatial que passionnel.
I. Le sens de la composition
1. Corps et âme
Composé d’une seule phrase, le premier quatrain se caractérise par de nombreuses références au corps (des " pieds " à la " tête ") et aux sensations tandis que le second multiplie des termes ressortissant à des actions ou des sentiments abstraits (parler, penser, " amour infini ", " âme ", " Nature " avec majuscule). Cette distinction dualiste est cependant atténuée par l’économie des liaisons logiques qui assurent une grande fluidité au poème (renforcée par la musicalité de nombreuses assonances à l’intérieur des vers). Seule, au vers 6, la conjonction de coordination " mais " introduit une nuance d’opposition (encore qu’elle soit discrète, suggérant davantage que " l’amour infini " n’a rien à voir avec une activité intellectuelle : " je ne penserai rien ").
2. L’effet de la dernière phrase
Les huit dernières syllabes du dernier vers, typographiquement mises en valeur par une virgule et un tiret d’incidente, achèvent le second quatrain sur une note éminemment sensuelle (l’évocation d’une femme) qui contraste avec les sentiments abstraits décrits précédemment. Cette comparaison finale introduit la présence d’une altérité féminine qui, à tous les sens du terme, forme un couple avec la comparaison