Commentaire composé sur le chêne et le roseau de la fontaine.
1 Le Chêne un jour dit au Roseau :
2 Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
3 Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
4 Le moindre vent qui d’aventure
5 Fait rider la face de l’eau
6 Vous oblige à baisser la tête :
7 Cependant que mon front, au Caucase pareil,
8 Non content d’arrêter les rayons du Soleil,
9 Brave l’effort de la tempête.
10 Tout vous est Aquilon[1], tout me semble Zéphyr[2].
11 Encore si vous naissiez à l’abri du feuillage
12 Dont je couvre le voisinage,
13 Vous n’auriez pas tant à souffrir :
14 Je vous défendrais de l’orage ;
15 Mais vous naissez le plus souvent
16 Sur les humides bords des Royaumes du vent.
17 La nature envers vous me semble bien injuste.
18 - Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
19 Part d’un bon naturel; mais quittez ce souci.
20 Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
21 Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
22 Contre leurs coups épouvantables
23 Résisté sans courber le dos ;
24 Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots
25 Du bout de l’horizon accourt avec furie
26 Le plus terrible des enfants
27 Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
28 L’Arbre tient bon; le Roseau plie.
29 Le vent redouble ses efforts,
30 Et fait si bien qu’il déracine
31 Celui de qui la tête au Ciel était voisine,
32 Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.
Présentation de l’auteur
Jean de La Fontaine (1621-1695) est une figure indissociable du classicisme (période correspondant au xviie siècle) et de la littérature française en général. L’époque classique est marquée notamment par le mécénat de Louis XIV, dit le « Roi-Soleil », qui finance et protège plusieurs écrivains notoires, dont Molière, Jean