En effet, il est bien nécessaire grammaticalement qu'un verbe soit rapporté à un sujet, mais puis-je pour autant en déduire que ce sujet est l'auteur du mouvement désigné par le verbe? Une structure nécessaire de la langue ne désigne pas nécessairement une relation réelle. Ainsi, ce "je", qui est le sujet le plus ordinaire de tout verbe, qu'est-il d'autre sinon une figure de mon discours ? Je dis "je" et, parce que je dis "je", je crois être naïvement l'auteur de mon dsicours ou bien de mes actes : la façon dont nous nous représentons nous-mêmes, comme sujet autonome, maître de ses actes et de son discours, n'est peut-être que le produit d'une représentation mythique du langage. Ainsi, parce que nous croyons que les mots disent les choses, parce que nous croyons, sans même y penser, que ce qui a lieu dans le discours est réel, nous avons fini par croire que le "je" n'est pas qu'une fonction linguistique, mais bel et bien une réalité substantielle (c'est-à-dire une entité réelle) : nous avons cru qu'il y a bien un "moi", réel, maître de lui-même et libre. C'est bien ce que Spinoza, dans une certaine mesure, démontre par l'absurde dans la Lettre à Schuller : soit une pierre qui est mise en mouvement par un autre mobile ; si l'on donnait la conscience à cette pierre, elle croirait être l'auteur de son mouvement, elle croirait agir selon le libre décret de sa volonté. "Je bouge", dirait la pierre, croyant alors être l'origine de son mouvement, sans voir les causes réelles qui la déterminent à se mouvoir. Que serait cette liberté dont elle se réclame sinon une illusion grammaticale ?
Ainsi, ce qui parle quand je dis "je", est-ce bien moi-même ou une structure du discours? Comme le note Nietzsche, toutes nos représentations métaphysiques (la façon dont nous nous représentons nous-mêmes, dont nous nous représentons nos dieux et le monde) ne sont peut-être que des transcriptions métaphoriques et symboliques de nos